Extraits de l’interview par Maya Ollier d’Idris Lahore dans le cadre du colloque international de psychogénéalogie (Lyon, 2007), parue dans le n°29 de «Sciences de la Conscience». Avec l’aimable autorisation de Coline d’Aubret
1. Hommage à Anne Ancelin Schutzenberger et Bert Hellinger
M.O. : A côté de vous, l’autre intervenante «vedette» du colloque international de psychogénéalogie de Lyon était Anne Ancelin Schutzenberger. Elle s’est exprimée assez négativement à propos de Bert Hellinger et des constellations familiales. Qu’en pensez-vous ?
I.L. : A l’évidence, Madame Ancelin Schutzenberger n’est pas une spécialiste des constellations familiales. De plus, je ne connais pas son argumentation. Mais je crois avoir compris que sa négativité s’adresse à Bert Hellinger personnellement. Je peux aussi imaginer qu’une femme de cette intelligence peut être critique quant à la façon dont certains utilisent les constellations, ou bien encore qu’elle appartient à une «école de pensée» dont les théories n’intègrent pas nos modèles de constellations ou leurs applications. Chacun a droit à ses idées et à ses théories
M.O. : Et vous, que pensez-vous de Monsieur Hellinger et de son travail ?
I.L. : J’aimerais d’abord rendre un hommage appuyé à cet homme, grâce à qui la méthode des constellations s’est répandue dans presque tous les pays du monde. Il a été l’instrument de cet essaimage. Certainement que sa vie et son oeuvre ont été mises au service, ou plutôt comme il le dit lui-même, «prises au service» de quelque chose de plus grand, peut-être le champ morphique des constellations. Quant à moi, je ne peux que m’incliner devant son destin, pour le moins remarquable.
M.O. : Vous lui aviez déjà rendu cet hommage à Lyon, en ajoutant que s’il était l’un des pères des constellations familiales, il était normal que nombre de ses élèves le trahissent… Que vouliez-vous dire par là ?
I.L. : Les créateurs – «pères» ou «mères» – sont souvent trahis par leurs «enfants» : peut-être est-ce même là la condition de l’émancipation de ces derniers. Mais il est vrai que l’on peut s’émanciper sans trahir : tout dépend de l’état d’esprit. C’est la gratitude envers les créateurs – «pères» ou «mères» – qui permet une véritable libération et surtout, une croissance et une évolution indépendantes.
M.O. : Vous qui faites ce travail depuis plus de trente ans, en quoi êtes-vous personnellement reconnaissant à Mr Hellinger ?
I.L. Vous rappelez très justement que je fais ce travail depuis plus de trois décennies, alors que les «constellations familiales selon Bert Hellinger» (c’est bien ainsi qu’il faut appeler le courant systémique dont il est à l’origine) ne sont pas aussi vieilles… Nous pourrons, si vous le voulez, revenir sur le cheminement comparé de B. Hellinger avec le mien. J’avais appelé mon travail les «représentations euphoniques», jusqu’au jour où quelqu’un m’a dit : «Ce que vous faites, ce sont des constellations familiales. Comme les fait Bert Hellinger» Curieux, je me suis alors informé sur ce qu’étaient ces constellations et sur qui était ce Bert Hellinger. J’ai étudié son travail et il a été un enrichissement considérable de mes propres recherches et expériences, tant du point de vue de la pratique que de la théorie. J’ai alors adopté nombre de ses procédures pour ma propre pratique.
De même, j’ai étudié les travaux de certains de ses élèves, en particulier ceux de I.Sparrer et de M.V. Von Kibed pour ce qui est des constellations structurelles, et de D.V. Kampenhout et R.Langlotz pour leur approche plus ritualisée, correspondant davantage aux traditions spirituelles ou chamaniques auxquelles je suis lié : j’ai également intégré une partie de leur expérience à mon travail.
Ces approches différentes m’ont permis de transformer ma pratique, alors encore basée sur ce que mes maîtres traditionnels m’avaient enseigné : j’ai par conséquent pu l’adapter beaucoup mieux aux besoins des hommes et des femmes d’aujourd’hui. C’est aussi en cela que je suis reconnaissant à B. Hellinger, ainsi qu’à ceux que je viens de citer et à beaucoup d’autres constellateurs, en particulier d’origine germanique, qui ont marqué et marquent encore de leur réflexion et de leurs recherches ce grand mouvement.
2. Les sources traditionnelles derviches d’Idris Lahore
M.O. : Nous connaissons vos formations classiques dans le domaine philosophique, psychologique, anthropologique et médical. Mais quelles sont les traditions auxquelles vous faites allusion ?
I.L. : J’ai eu la chance d’en rencontrer plusieurs, la plus importante étant la tradition des derviches Hakim du Kâfiristân, dont le savoir et le savoir-faire remontent à la culture samaréenne, qui date de plus de 6000 ans avant notre ère. Je vous précise cette date, car on confond souvent mon travail avec celui des soufis, alors que les derviches dont je parle ont des sources largement pré-islamiques, et se sont répandus de la vallée de Samara vers le sud en Afghanistan et en Inde, vers le nord-est en Sibérie, vers l’est en Chine et vers l’ouest en Europe. C’est auprès d’eux que j’ai assisté à ma première «représentation euphonique du souffle de l’esprit» dans le cadre du Samadeva (voir revue Science de la Conscience n°17, page 46), que plus tard je reconnaîtrai dans les «constellations Familiales» et dont, à l’évidence, j’ai vu là une des sources. Ce travail était également la composante fondamentale du théâtre et même des “temples du sommeil et de la guérison” au temps de la Grèce Antique.
3. Les sources taoïstes d’Idris Lahore
I.L. Des derviches, j’ai appris les pratiques, tandis que la théorie m’est venue pour une grande part de mon grand-père, qui était ce qu’on peut appeler un original, alchimiste et grand voyageur. L’expédition qui l’a le plus profondément marqué est celle qu’il fit en Chine, longtemps avant la Révolution. Quand je fus en âge de comprendre, il me narra sa rencontre avec un sage chinois, Huan Zhen Hui, maître taoïste du Tch’an et du Chen Yen. Plutôt que de voyager à travers toute la Chine, comme il l’avait projeté, mon grand-père s’installa auprès de celui qui devint son maître et qui lui enseigna ce qu’il me transmit et que j’ai retranscrit en partie dans mon livre «Tao, La voie du Tao».
Mais surtout, il m’initia au Yi Qing, le plus ancien des livres chinois, qui est aussi appelé «Livre des mouvements» Dans son chapitre 37, le Yi Qing résume tout le savoir sur la famille et la société. Je vous en lis quelques extraits, dont vous n’aurez aucune peine à reconnaître qu’ils sont les fondements même des principes que B. Hellinger a appelés «les ordres de l’amour». (…)
Dans ce chapitre 37 du Yi Qing, nous trouvons à la fois les principes qui dirigent les relations familiales et l’indication qu’ils se projettent sur le monde extérieur. De même, il y est déjà précisé l’importance de la parole juste, en fait des paroles qui permettent de trouver de meilleures solutions et de résoudre les problèmes, telles que B. Hellinger les a proposées…
M.O. : Tout ceci est extrêmement intéressant et semble nous plonger dans les sources même des principes non seulement familiaux mais aussi systémiques, mais nous éloigne de Mr Hellinger…
I.L. : Non, pas tant que vous le pensez. Je sais que B. Hellinger aime citer Lao Tseu, le père fondateur du taoïsme… Par contre, je ne sais pas s’il a été en contact avec l’une des filiations des traditions derviches.
M.O. : Mais qu’est-ce qui différencie votre pratique de la sienne ?
I.L. En dehors de mon utilisation de techniques chamaniques et de constellations structurelles, il n’y a pas beaucoup de différence, en tout cas pour ce que je sais des techniques de constellations, ainsi que de l’évolution personnelle de B. Hellinger.
4. La dimension « spirituelle » du travail systémique
M.O . : Depuis plusieurs décennies, vous dites du travail systémique qu’il est spirituel. Mr Hellinger a pendant longtemps refusé d’utiliser ce terme, alors que depuis un peu plus d’une année, il parle ouvertement de «constellations spirituelles». Que signifie pour vous le mot «spirituel» ?
I.L. : Le mot «spirituel» vient du latin «spiritus» et signifie, entre autres, l’air ou le souffle. Dans ces deux définitions, nous trouvons le sens le plus profond de la spiritualité : l’air, cet ensemble dans lequel nous baignons tous et qui nous relie les uns aux autres, sans exclure personne. Le souffle, quant à lui, est le «mettre du souffle», c’est-à-dire du mouvement, là où c’était bloqué ! Ceci aussi bien dans les situations familiales, relationnelles, sociales ou professionnelles, que dans les maladies corporelles ou les troubles psychologiques.
5 . Le parcours de Bert Hellinger
M.O. : Au début de notre entretien, vous avez parlé d’un parallèle entre votre cheminement et celui de Mr Hellinger. Pourriez-vous en dire un peu plus ?
I.L. : Pour commencer, je peux témoigner du fait que le chemin de B. Hellinger semble s’inscrire dans une évolution authentique, car elle ressemble à celle qui était traditionnellement suivie dans les anciens “Centres des Mystères” ou les “Ecoles de Sagesse”, sauf que l’apprentissage était exactement inverse dans ces lieux.
D’après ce que je sais du travail et de l’histoire de B. Hellinger, il a d’abord été prêtre chrétien, puis il a fait une psychanalyse, méthode à laquelle il a ensuite été formé. Il est parti aux Etats-Unis, où il a appris la thérapie primale d’Arthur Janov, l’Analyse Transactionnelle d’Eric Berne et l’hypnose eriksonienne. A son retour en Europe, les psychanalystes ne lui ont cependant pas accordé leur agrément. Il a néanmoins continué son travail en y intégrant en particulier l’Analyse Transactionnelle de Berne, et son «analyse du scénario de vie». B. Hellinger se déclara très impressionné par le psychodrame de Moreno, qu’il a également expérimenté, mais les véritables constellations familiales, ainsi que son expérience en tant que «représentant», il les a acquises avec Thea Schoenfelder, une thérapeute allemande avec laquelle il a travaillé deux fois pendant des congrès de psychothérapie à Lindau. Selon lui, ce fut là une influence déterminante pour son orientation ultérieure : c’était la première fois qu’il voyait de véritables constellations familiales.
Elles ne sont donc pas de son invention, mais sa créativité en la matière lui a permis d’en faire un outil original et spécifique. Il a également appris les différentes techniques de thérapie familiale au cours d’un séminaire de quatre semaines à Snowmass, Colorado, avec Ruth McClendon et Kadis. Au cours de ce séminaire, il a pu acquérir de nouvelles expériences en étant encore lui-même «représentant». Il a ultérieurement poursuivi sa formation avec elles. Contrairement à ce que beaucoup disent de lui, il n’a vu Virginia Satir travailler qu’une seule fois, lors d’un congrès à Oldenbourg, et donc n’a pas expérimenté le travail avec les «sculptures familiales».
Malgré son intérêt pour ces diverses méthodes, il voulait continuer son propre travail, principalement basé sur «l’analyse du scénario de vie». C’est au cours de ce travail qu’il prit conscience de l’influence des aïeux dans la vie des individus et qu’il mit au point, dans les années 1980, sa propre technique de «constellations familiales». Il n’a jamais parlé de contacts traditionnels qu’il a peut-être eus en Afrique du Sud où il a été directeur d’une école religieuse, ni de lien avec d’autres associations spirituelles ayant des pratiques apparentées aux constellations familiales.
D’un point de vue technique, B. Hellinger a commencé à faire des constellations familiales en plaçant les gens les uns par rapport aux autres et en leur demandant ce qu’ils ressentaient. Puis il les a déplacés à des endroits où ils pouvaient se sentir mieux à leur place, en même temps qu’il utilisait la parole pour avancer vers une meilleure solution du problème du client
M.O. : Vous-même dites par ailleurs que la parole est issue du même «cerveau» que le mouvement. C’est ce qui expliquerait l’efficacité autant des déplacements que des paroles ?
I.L . : Oui, c’est exact. De plus, B. Hellinger s’est également rendu compte qu’il y avait chez les «représentants» une impulsion au mouvement, qu’il a appelée le « mouvement de l’âme», et que ce mouvement conduisait naturellement vers une solution meilleure pour tous les membres du système familial du client. Quand ce «mouvement de l’âme» se manifestait, il laissait les «représentants» suivre ce mouvement qui s’emparait d’eux. Notons ici la différence entre l’âme dans laquelle baignent les «représentants», c’est-à-dire le champ de forces qui les englobe tous (et que Rupert Sheldrake appelle le champ morphique) et l’âme, ou la psyché, individuelle.
L’élaboration de ce processus a pris à B. Hellinger plus de vingt ans : d’abord le placement/déplacement par le constellateur, puis le déplacement libre des différents représentants suivant le «mouvement de l’âme».
Depuis quelques années, Hellinger parle de «mouvement de l’esprit», plus grand encore que le «mouvement de l’âme». Il a alors encore davantage changé le modèle technique qu’il avait déjà commencé à simplifier dans le «mouvement de l’âme» : il ne place plus la famille au complet, ni même quelques personnes choisies, et commence souvent avec une seule personne. Il intervient lui-même encore moins et reste en retrait, laissant le «mouvement de l’esprit» montrer s’il est nécessaire de mettre en place un ou d’autres représentants supplémentaires, et surtout laissant ce mouvement conduire à une solution plus profonde, même si elle est souvent incompréhensible pour le profane… et pour le constellateur !
Hellinger utilise une autre technique encore : faisant asseoir un client à ses côtés et étant complètement centré en lui-même, sur sa propre résonance intérieure, il entre en contact avec le «mouvement intérieur». Il lui suffit alors de dire quelques mots au client pour l’orienter vers une meilleure solution ou vers la résolution de sa difficulté.
Ceci est ma vision de l’évolution du travail de B. Hellinger, qui n’engage que moi.
M.O. : On dirait que de complexe, sa méthode est devenue de plus en plus simple…
I.L. : Simple oui, mais ceci ne signifie ni simpliste, ni facile, ni à la portée de tous… En effet, en chercheur authentique, B. Hellinger a parcouru tout un cheminement qui l’a amené à une approche de plus en plus immobile extérieurement, dans le silence, à l’écoute du mouvement intérieur. Je pense que ce type de travail n’est accessible qu’à ceux qui le désirent vraiment et qui s’en donnent les moyens… et le temps de plusieurs décennies…
6 . Le parcours inverse d’Idris Lahore
M.O. : Est-ce également votre parcours ?
I.L. : J’ai été formé exactement à l’inverse de B. Hellinger. Je sais que ce qu’a découvert ce dernier est le «souffle de l’Esprit» et, encore au-delà, le «mouvement de l’Origine» : un mouvement qui existe à l’intérieur de chacun, et que, dans la tradition derviche, on appelle «Oya». Quant à mon parcours : au cours de ma quête, j’ai d’abord rencontré, dans une confrérie derviche, un homme qu’on appelait dans les traditions spirituelles un maître. Une fois accepté dans son école, on pouvait venir s’asseoir près de lui quand on avait un problème, sans rien lui dire, avec seulement l’intention suffisante de trouver avec lui ou auprès de lui une solution.
On s’asseyait en silence, centré sur sa respiration et ses sensations (les Hindous appellent cela le «darshan»). Au bout d’un temps plus ou moins long de cette méditation spécifique, on pouvait, en quittant la «présence» et la «conscience» de ce maître, être en contact avec la solution de son problème. A partir de l’immobilité et du silence, on entrait en contact avec une solution.
Plus tard, j’apprendrai que c’est là le principe de la triade de l’intention qui est à l’oeuvre: un problème mobilise des énergies, qui conduisent à sa résolution. Il s’agit d’une loi de la physique quantique : information <–> énergie <–> matière.
A d’autres moments, ce maître disait à celui qui venait avec son problème : «Tiens-toi debout là et suis le mouvement qui te vient, le mouvement de l’Origine, Oya» La chose mystérieuse alors était que la personne entrait dans un mouvement spontané naturel et ensuite, quand le mouvement arrivait à son achèvement ou que le maître disait stop, elle entrait en contact avec une solution à son problème : la solution était venue dans ce «mouvement de l’Origine».
Dans d’autres situations, ce maître disait à celui qui venait : «Assieds-toi là» et demandait à l’un de ses élèves plus expérimentés : «Lève-toi et, pour cette personne, suis le mouvement qui s’empare de toi» Cet élève devenait un «représentant» pour celui qui venait chercher de l’aide et entrait naturellement dans un mouvement qui menait vers une meilleure solution.
D’autres fois, au cours de soirées très spéciales, une grande foule se rassemblait autour de ce maître pour ce qu’il appelait des «nuits de la réconciliation avec les ancêtres», comme je vous les ai décrites auparavant. C’est de cette façon que les constellations familiales, ancestrales, spirituelles, thérapeutiques et toutes les autres formes de constellations existaient depuis des siècles dans ces organisations traditionnelles.
M.O. : Pourrait-on dire alors, qu’au cours des années, Mr Hellinger est entré en résonance avec le champ morphique de ce savoir et de ce savoir-faire traditionnels ?
I.L. : J’ai été formé à l’une de ces traditions, mais je ne peux rien dire d’autre du cheminement de B. Hellinger, sinon de témoigner que son travail est de grande qualité et correspond à l’expérience de ceux qui, il est vrai rares de nos jours, ont pu suivre un véritable chemin initiatique et qui connaissent les traditions et thérapies spirituelles anciennes. Je sais que tout ce que je décris là va faire hurler au mysticisme tous ceux, scientistes cartésiens, dont les connaissances ethnologiques, anthropologiques et spirituelles sont insuffisantes.
7. Rester humble face à ce qui nous dépasse
M.O. : Vous évoquez des techniques et des traditions spirituelles anciennes, que voulez-vous dire par là ?
I.L. : Tous les constellateurs savent qu’ils sont, dans leur travail, en contact avec quelque chose qu’ils appellent «champ de forces», «champ de savoir», «âme», «esprit» ou «énergie» et ils savent aussi que ce «phénomène» est à la fois très puissant et très mystérieux. Ils débattent beaucoup à ce sujet : que sont les perceptions représentatives ? Qu’est cette résonance qui fait ressentir et même connaître ce qui vit dans les autres ? Qu’est cette énergie qui guide vers une meilleure solution ? Aucune réponse psychologique, philosophique, scientifique ou technique n’est suffisante.
Pour répondre à ces questions. B. Hellinger, actuellement, dit qu’il s’agit du «grand Esprit» et même du «divin». Je pense que ceci est évidemment une interprétation d’un phénomène dont le mystère et la puissance amènent à le comparer à dieu. Mais nommer ainsi ce phénomène, ce mouvement, est une façon de se l’approprier : je sais que ce n’était pas jusque là l’attitude de Bert Hellinger. Ceux qui ont été formés dans un cadre initiatique (dans une Ecole) ont une connaissance spécifique des phénomènes que B. Hellinger, en chercheur solitaire, a re-découvert à sa manière et sur lesquels s’interrogent les constellateurs, alors qu’il s’agit d’un savoir précis et codifié.
Ceci est donc dû à leur méconnaissance de l’histoire de ces phénomènes dans d’autres cultures et d’autres cercles, méconnaissance qui peut conduire à imaginer que ce phénomène vient seulement de se manifester par le type de travail que sont les constellations.
Certains vont dire qu’on ne peut pas codifier l’esprit. Ils ont raison, mais ce avec quoi nous sommes en contact dans le cadre des constellations est un aspect spécifique et limité de sa manifestation. Il ne suffit pas de prétendre qu’il s’agit du «grand esprit» pour qu’une réalité limitée devienne le tout. De plus, la caractéristique du manifesté est qu’on peut l’analyser, le codifier et le décrire, tout en sachant qu’ »une carte n’est pas le territoire», comme le dit A. Korzybski
Je crains également que beaucoup de ceux qui suivent B. Hellinger au niveau où il travaille actuellement se croient capables de travailler à sa façon, alors qu’ils n’ont pas le niveau que lui-même a atteint après plusieurs décennies de travail et de recherches personnelles. L’illusion et la croyance dans lesquelles ils vont se fourvoyer, les conduiront à créer de nouveaux mouvements religieux, vers lesquels afflueront certainement tous ceux qui sont superficiellement attirés par l’extraordinaire nébuleux et le soi-disant spirituel.
M.O. : C’est donc une mise en garde que vous faites à l’encontre de ceux qui n’auraient pas la très longue expérience de Mr Hellinger, mais qui s’attribueraient son savoir-faire ?
I.L. : Pour pratiquer de cette façon, il faut à mon sens soit beaucoup d’expérience, de savoir et de maturité, soit avoir suivi un enseignement spécifique qui n’est pas délivré dans la nouvelle école de B. Hellinger, ni par les constellateurs. Ces derniers font par contre un excellent travail de transmission du savoir et du savoir-faire liés aux constellations familiales et aux différentes formes de constellations structurelles.
Je crains qu’imaginer, à cause de la proximité avec B. Hellinger, être capable de le représenter ne soit une illusion. Le savoir et le savoir-faire se transmettent. Par contre, ni le travail personnel, ni l’évolution individuelle ne se transmettent par contamination ou par mimétisme… L’amitié ou l’amour seuls ne suffisent pas.
M.O. : D’après ce que vous dites, il semble cependant que l’art le plus élevé dans le domaine des représentations et des constellations, se manifeste quand le constellateur peut s’asseoir dans son propre silence et dans sa propre immobilité et qu’il peut y accueillir le demandeur d’aide, pour ensuite soit lui donner quelques indications, soit provoquer un autre mouvement, qui peut être corporel, émotionnel, intellectuel, énergétique, conduisant à une solution.
I.L. : Oui, c’est à peu près cela. En réalité, la tradition à laquelle j’appartiens appelle cela le «souffle de l’esprit». J’ai quant à moi commencé ce travail à cet endroit il y a plus de trente ans, pour ensuite découvrir les travaux de B. Hellinger et d’autres constellateurs, dont j’ai compris qu’ils étaient une application des principes du «souffle de l’esprit».
M.O. : Monsieur Lahore, permettez-moi de vous remercier infiniment de m’avoir reçue pour ce long entretien, ainsi que pour les réponses éclairées que vous avez faites à des questions que beaucoup, autour de moi, se posaient au sujet de Mr Hellinger et des constellations en général.
I.L. : Je serai très heureux de vous revoir pour de nouveaux entretiens, l’un à propos des travaux du Professeur Rizzolatti sur les neurones miroirs, l’autre à propos des recherches de Rupert Sheldrake sur les champs morphogéniques. Merci.